Récit de voyage : Cambodge

du 06/01/2017 au 17/01/2017

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6 janvier, jour 198 : Frontière Vietnamienne – Ban Lung (83 km)

C’est un petit poste frontière très calme où le chargé des visas somnole dans sa cabane. Il me fait remplir le formulaire en se fichant de l’absence d’adresse de résidence au Cambodge, je paie 35$ et je récupère le précieux autocollant sur une page du passeport. D’ailleurs il ne me reste plus un très grand nombre de pages vides, il faudra que les futurs pays visités se calment sur la taille des visas !

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Le changement est moins marqué qu’en passant du Laos au Vietnam mais je ressens tout de suite le changement : c’est plus calme. Je ne crains plus de perdre mon audition avec les oreilles nues. Les commerçants sont plus cool, j’ai moins de problèmes pour manger ou pour acheter ce dont j’ai besoin. Le pays est pauvre. Par exemple, on trouve partout des barils de carburant surmontés d’une pompe à actionner à la main au lieu des rares stations-services. Pour acheter une boisson fraîche, on n’ouvre pas un réfrigérateur-vitrine aux couleurs de Coca-Cola mais un grand bac en plastique plein de boissons et de gros blocs de glace. Ça ressemble beaucoup au Laos, c’est très rural : la route n’est pas le défilé quasi ininterrompu de maisons et de commerces vu au Vietnam. Je croise quelques villages et entre les deux, des champs, des forêts, des cultures, des marécages. Le regard peut porter sur l’horizon sans devoir quitter la route principale.

Elle est pas belle cette station-services ?
Elle est pas belle cette station-services ?

Je passe la nuit dans une plantation d’hévéas, arbres dont l’écoute est entaillée en spirale pour recueillir le caoutchouc naturel. Et vu les quelques grammes produits par chaque arbre, il en faut un grand nombre pour avoir une récolte en tonnes. Pas étonnant que le caoutchouc synthétique ait pris le dessus à une époque où il suffisait de creuser un trou pour voir jaillir le pétrole en quantité ! L’ambiance étrange d’une plantation d’arbres à l’alignement géométrique n’est guère rassurante en pleine nuit, surtout quand des lumières s’allument au loin et pointent même dans ma direction… Finalement, pas de rencontre avec un dangereux psychopathe à déplorer 🙂

Creepy creepy creepy...
Creepy creepy creepy…

7 janvier, jour 199 : Ban Lung – Chrop (96 km)

Je fais un détour dans la matinée pour rejoindre une série de cascades. Comme il faut payer à chaque fois pour s’en approcher, je n’en fais qu’une mais elle est vraiment pas mal. Bien qu’on soit en saison sèche, le débit de la chute d’eau est respectable. Par contre la couleur de l’eau ne donne pas envie de s’y baigner !

La première ville depuis longtemps
La première ville depuis longtemps

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La route pour accéder aux cascades et en repartir est une piste parfois difficile à emprunter à cause des sillons creusés par l’eau et par les bosses. C’est salissant mais ça change de l’asphalte. Les couleurs sont très belles avec la terre ocre, le ciel bleu et la végétation.

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Pendant le restant de la journée, la route est plate et je bénéficie d’un petit vent favorable. Après le passage au dessus d’une rivière, le terrain devient marécageux et désert. L’air est sensiblement plus humide et trouver un lieu pour camper est difficile à cause des hautes herbes omniprésentes parfois les pieds dans l’eau. Je trouve quand même un terrain dégagé et sec le long d’un chemin secondaire.

8 janvier, jour 200 : Chrop – Stung Treng (91 km)

Journée symbolique, 200ème jour sur les routes du monde !

Bon en réalité il ne se passe rien de bien passionnant, c’est une journée tranquille. J’ai pris l’habitude de prendre mes pauses dans les hamacs que les gens installent devant chez eux ou devant leur petite épicerie, c’est tellement agréable pour moi qui passe la journée assis sur une selle ! Je déplore quand même une chute à cause d’un hamac mal attaché. Ça fait mal au derrière (et il est dangereux) de tomber de tout son poids d’une hauteur de 50 cm.

Le Mékong
Le Mékong

Je traverse dans l’après-midi le Mékong que j’avais quitté au Laos. En réalité je traverse le fleuve 150 km plus au sud que dix jours auparavant. Tout ça pour ça !

9 janvier, jour 201 : Stung Treng – Mlu Prey Muoy (97 km)

En roulant au milieu de la campagne, je prends conscience de l’inactivité dans cette région du pays. Il ne faut pas voir un côté moralisateur dans cette phrase. Les terres sont à l’abandon à perte de vue parce que, hormis les marécages, je suppose qu’elles ont été déboisées il y a des siècles. Mais point de cultures, à part quelques bananiers près des habitations. Je ne vois quasiment pas d’animaux d’élevage : une vache ou un cochon par-ci par-là alors qu’au Laos les vaches étaient partout. Personne sur les routes hormis les motos, il y a juste quelques tracteurs avec des remorques vides. Quand je passe devant des commerces, les gens sont attablés à regarder les véhicules passer et à saluer de la main les cyclos comme moi ;). Devant un garage deux-roues, les hommes sont assis à discuter, dans l’atelier une moto est à moitié démontée et attend peut-être des pièces. Les femmes tiennent plutôt les petites épiceries ou les restaurants, entre les rares clients elles pianotent sur leur smartphone. Pas de stress. Ce n’est pas la richesse mais ce n’est pas la misère, les gens n’ont pas l’air de manquer d’aliments ou de biens de base (c’est peut-être différent dans d’autres régions…). Ils habitent juste dans des maisons en bois montées sur pilotis et comme ses occupants passent la journée à l’extérieur, elles n’ont pas besoin d’être spacieuses. Le climat doux en hiver doit rarement descendre sous les 20°C donc l’isolation thermique et le chauffage sont inexistants. Il n’y a pas d’eau courante mais ça n’a pas l’air de gêner plus que ça, il suffit de marcher un peu jusqu’au puits ou jusqu’à un grand réservoir pour se servir ou remplir de grandes jarres ; l’eau potable est apportée en bidons de 20 litres par des camions. L’électricité est présente mais elle n’est utilisée que pour la lumière et pour regarder la télé ou charger le smartphone. Très peu de monde possède une voiture, les enfants vont à l’école en bicyclette et leurs parents roulent en petites motos.

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Finalement pourquoi s’embêter à travailler quand tous ces besoins fondamentaux sont satisfaits ? Bien sûr le système de santé ne doit pas être brillant, le niveau d’études ne doit pas souvent dépasser le secondaire, le confort de vie est spartiate. Mais est-ce que, dans nos pays industrialisés, on ne travaille pas essentiellement pour se payer une nouvelle voiture alors que l’ancienne roulait encore, un logement au prix exorbitant parce qu’on est capables de s’endetter sur 20 ou 30 ans, pour financer des études qui permettront d’être mieux placé dans la concurrence du marché du travail et de gagner plus d’argent, pour s’acheter de nouveaux vêtements tous les quelques mois à des prix qui n’ont rien à voir avec le textile ? Peut-être qu’en n’ayant pas tous ces besoins du mode de vie occidental, les Cambodgiens que je croise n’ont pas besoin de travailler plus qu’ils ne travaillent déjà.

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10 janvier, jour 202 : Mlu Prey Muoy – Phumi Moreal (85 km)

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11 janvier, jour 203 : Phumi Moreal – Beng Mealea (61 km)

Depuis la veille j’avance difficilement, non pas à cause de la route mais c’est une baisse de régime, je traine au réveil, j’allonge les pauses, le temps à vélo me parait interminable. J’ai envie de mettre ça sur le dos du médicament contre la malaria et peut-être d’un début de routine au Cambodge.

Ma roue avant crève le matin du 10 janvier et la perspective de devoir faire la réparation me décourage. Je poursuis ma route en regonflant quelques fois jusqu’au déjeuner. Et quand je me lance enfin dand la réparation, devant le restaurant où j’ai déjeuné, je deviens l’attraction touristique du coin, entouré d’une dizaine de personnes qui me dévisagent. Et en reprenant la route, la roue continue de se dégonfler, moins vite cependant. Ça devra tenir jusqu’à que je trouve de l’eau où plonger la chambre à air pour trouver la petite crevaison.

Dans la matinée du 11, j’ai péniblement avancé d’une vingtaine de kilomètres et le déjeuner approche ; alors que je me repose dans un hamac au bord de la route, je vois passer Élise et Nicolas, les deux cyclovoyageurs Français rencontrés au Laos. Nos chemins pouvaient se croiser au Cambodge mais j’avais pris un peu d’avance en écourtant l’étape vietnamienne. C’est donc une scène digne d’un film où je suis affalé sur mon hamac et où je peux fièrement annoncer : « je vous attendais ! ».

Coucou !
Coucou !

Nous passons le reste de la journée ensemble sauf pour la visite d’un temple en ruines pris par la végétation. Je préfère rester à l’extérieur pour ne pas payer les 5$ de l’entrée et pour profiter d’un hamac. Je deviens fainéant. Non en fait je me dis que j’aurai suffisamment à voir à partir du lendemain parmi les dizaines de temples d’Angkor… Nous passons la nuit dans la cour d’une école, c’est un peu plus pratique que de camper dans un champs avec l’accès aux sanitaires et à des tables et bancs pour cuisiner le diner.

12 janvier, jour 204 : Beng Mealea – Siem Reap (58 km)

Levé de drapeau pour commencer la journée d'école
Levé de drapeau pour commencer la journée d’école

Nous poursuivons notre route vers la ville de Siem Reap et les temples d’Angkor. Pour prendre une route plus directe et pour le fun, nous empruntons des pistes passant dans la forêt et entre les étangs. C’est parfois difficile lorsque la piste n’est plus qu’un sentier de sable étroit mais c’est l’occasion de faire de belles découvertes.

Temple en ruine et désert
Temple en ruine et désert

 

Comme ce temple bouddhiste aux peintures chatoyantes. Ou cet autre temple, lui en ruines, perdu au milieu de la forêt, inaccessible par la route, faisant sans doute partie du complexe d’Angkor, que l’on peut visiter seuls et gratuitement. Un peu plus tard, en passant dans un hameau, nous découvrons le procédé de fabrication des nouilles de riz. Le riz est d’abord broyé entre deux pierres pour en faire de la farine. Cette farine est ensuite mélangée avec de l’eau et écrasée par un pilon. Le pilon est au bout d’une balançoire actionnée par un homme qui y va de tout son poids. Pour avoir actionné la balançoire, c’est vite fatigant !

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Nos chemins se séparent vers midi, je continue ma route vers la cité d’Angkor avec l’espoir de pouvoir visiter quelques temples sans billet. Le billet étant vendu à Siem Reap au sud du site et venant pour ma part du nord-est, je n’ai pas le choix. Mais ça ne va pas, tous les gardiens de temples sont flanqués d’un policier (pour le surveiller ?). Et je suis pris d’une terrible fatigue, je n’ai pas le courage de chercher un petit temple non surveillé. Je me dirige donc vers la ville pour y trouver mon auberge et me reposer.

13 et 14 janvier, jour 205 et 206 : Angkor

Diminué par un mal de tête, de la fièvre et de la fatigue, je prends du repos et décale la visite d’Angkor au lendemain.

L’ancienne capitale de l’empire khmer a été construite à partir du 9ème siècle et est devenue probablement la grande ville de l’ère pré-industrielle, avant d’être saccagée par les Thaïs en 1431 et être ensuite délaissée. Aujourd’hui, on y trouve les ruines de dizaines de temples mélangeant les cultes hindouiste et bouddhiste qui se sont succédés. Contrairement à la légende, le site n’est pas « tombé dans l’oubli », il a été en grande partie envahi par la jungle et s’est dégradé mais il a continué à faire l’objet de pèlerinages jusqu’à l’époque coloniale.

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Il y a bien sûr les célèbres Angkor Wat, le plus grand monument religieux, et Ta Prhom, le temple en ruine où les arbres se sont mêlés à la pierre. Mais le plus remarquable est le travail de maîtrise de l’eau. Plusieurs temples sont entourés de larges douves (200 mètres de large à Angkor Wat !), des canaux ont été creusés et d’immenses bassins de plusieurs kilomètres de côté ont été aménagés pour recueillir l’eau de la mousson et l’utiliser pendant la saison sèche. La ville occupait jusqu’à 1000 km² ; la plupart des temples sont dans le centre historique mais ils restent séparés parfois par plus de 10 km et on sent la distance quand on fait la visite en vélo ! On peut même s’exiler encore plus loin visiter des temples secondaires et éviter les bus de touristes.

Gravure interminable sur les murs à l'intérieur d'Angkor Wat
Gravure interminable sur les murs à l’intérieur d’Angkor Wat
Angkor Wat
Angkor Wat, « temple-montagne »
Angkor Wat, vu de l'intérieur de la première enceinte
Angkor Wat, vu depuis l’intérieur de la première enceinte

15 janvier, jour 207 : Siem Reap – Kralanh (60 km)

La petite maladie qui m’a accompagné pendant près d’une semaine se calme mais je reste encore fatigué. Les symptômes ressemblent au Zika : fatigue, maux de tête et fièvre. La maladie est bénigne sauf chez les femmes enceintes où le bébé risque des malformations.

Ciel couvert et nuages menaçants
Ciel couvert et nuages menaçants

Je me lance autour de midi vers l’ouest avec un vent favorable. Les kilomètres défilent tellement lentement, j’ai l’impression que le temps passé en selle est interminable. Il faut dire que la route n’est pas très intéressante, elle passe par des petites villes et des champs plats et inondés. La circulation est plutôt chargée pour le Cambodge, c’est l’axe principal pour accéder à la Thaïlande voisine.

16 janvier, jour 208 : Kralanh – Lvea Kraon (92 km)

Je quitte la route principale pour viser un poste frontière plus au sud et rejoindre au plus court l’ile de Koh Chang en Thaïlande. En début d’après-midi, j’ai la fantastique idée de prendre un raccourci et m’épargner quelques kilomètres. Et comme souvent, ce n’est pas une très bonne idée : cette fois je me retrouve à pédaler dans la boue ! C’est glissant, ça secoue dans tous les sens, les pneus se chargent de boue qui s’envole malgré les gardes-boue et me décore les jambes… Mais c’est marrant 🙂

Mud Day Cambodia
Mud Day Cambodia

Je m’installe dans un champs pour la nuit. J’ai beau essayer d’orienter l’entrée de la tente face au vent très léger histoire de rafraichir l’air, c’est un vrai sauna. Je dois garder la chambre de la tente fermée à cause de tous les insectes et même de crapauds qui se feraient un plaisir de passer la nuit avec moi. Il est très difficile de trouver le sommeil, la température devient moins insupportable en deuxième partie de nuit. Je passe une nuit difficile. La clim est une belle invention…

17 janvier, jour 209 : Lvea Kraon – Frontière thaïlandaise (72 km)

Après le maigre repos nocturne, je reprends la route. Dès la première heure, la température et surtout l’humidité sont difficiles à supporter. Le ciel est très nuageux depuis plusieurs jours mais le soleil arrive quand-même à percer et à prodiguer sa chaleur indésirable. De toute façon ces nuages n’offrent qu’une maigre protection, ils sont plutôt le signe et même la conséquence de cet air suffoquant. C’est à vélo en pédalant que le vent peut enfin me rafraichir. Je regrette le climat plus sec rencontré dans les pays précédents, en Turquie ou en Iran. Vivement la fin de ces pays tropicaux et le retour en régions tempérées !

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