Récit de voyage : Chili (1ère partie)

du 28/02/2017 au 06/03/2017

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28 février, jour 251 : San Sebastian (Chili) – La Terre mal nommée (53°20.618’S 69°30.405’O) – 58 km

Après l’entrée au Chili et le délestage de tout produit alimentaire « dangereux », ce sont 145 kilomètres de piste non goudronnée qui m’attendent jusqu’au port de Porvenir. Le vent est très favorable, je ne peux pas avancer aussi lentement que le couple avec lequel j’ai roulé le matin alors je les sème en lâchant les freins. La route est plutôt de bonne qualité, tout va bien malgré les quelques gouttes de pluie.

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Après le déjeuner je suis rattrapé par le couple, je reste avec eux pour la pause et pour partager un maté. C’est une boisson proche du thé consommée en Amérique du Sud. Des herbes de maté sont placées dans un récipient fait à partir d’un fruit (la calebasse), on ajoute de l’eau chaude et on boit à travers une paille filtrante (la bombilla). Ou alors on l’achète en sachets comme du thé.

La route, bien qu’elle ne soit pas goudronnée ou bétonnée, est correcte et permet de rouler sans trop d’efforts et de secousses. Ma tente sanglée à l’arrière est quand même suffisamment secouée pour glisser et pendre, se retrouvant à frotter contre la roue arrière et contre le sol. Je mets du temps à m’en rendre compte puisque je roule avec des écouteurs. La toile extérieure est déchirée en plusieurs endroits, j’ai de la chance, ce n’est pas dramatique. Je passerai une partie des soirées suivantes à recoudre les dégâts. J’avais acheté du fil de pêche à Rio Grande pour réparer (déjà) une déchirure du sol sur 3-4 cm sans doute causée par une trop forte tension lors de l’installation de la tente. On peut dire que les ennuis viennent par lots…

Un paysage réjouissant...
Un paysage réjouissant….

En parvenant à la Bahia Inutil (Baie Inutile), hasard ou caractéristique du relief, le vent change complètement et souffle maintenant de l’ouest, c’est-à-dire de face. La route devient aussi plus mauvaise. J’adore le nom de la baie parce que j’imagine les marins perdus dans le détroit de Magellan, qui est le passage de l’Atlantique au Pacifique le plus au nord, au milieu du brouillard, suivre ce bras de mer, arriver dans un cul-de-sac et pester contre cette « baie inutile ». En plus il n’y a rien à part de la steppe. Et une colonie de pingouins à 15 km de la route principale mais pas le courage de faire le détour sur la piste et avec le vent fort. Je poursuis inlassablement vers l’ouest, il n’y a aucun arbre sauf un, un seul arbre sur des dizaines et des dizaines de kilomètres qui porte les stigmates des éléments. Cet arbre est photographié par tous les cyclovoyageurs de passage sur cette route, je l’apprendrai les jours suivants en rencontrant des confrères.

L'arbre du vent
L’arbre du vent

Le début de nuit est marqué par la pluie de l’après-midi qui s’intensifie. Le vent déjà fort devient terrible. La tente est secouée dans tous les sens, le vent plaque la toile extérieure sur la toile de la chambre et permet ainsi à l’eau de s’infiltrer. De plus je n’avais pas refait l’étanchéité des coutures au gel de silicone depuis des mois. La tente se déforme et s’écrase sur moi, impossible de dormir. Je finis par sortir sous la pluie et le vent pour retendre les haubans mais je peux à peine tenir debout face aux rafales de 80 ou 90 km/h en terrain ouvert. Je finis par essayer de dormir mais sans matelas ni sac de couchage, de peur de les mouiller avec l’eau qui continue de s’infiltrer dans la chambre. Je me réveille une heure plus tard, il est plus de minuit, je suis frigorifié mais le vent a faibli et la tente a repris une forme normale. Des flaques d’eau se sont formées un peu partout dans la chambre, sous les sacoches, dans les coins, sur les côtés… Je passe du temps à éponger cette eau pour pouvoir remettre le matelas et le sac de couchage avant de m’écrouler de fatigue. C’est la pire nuit jamais passée sous la tente…

1er mars, jour 252 : La Terre mal nommée (53°20.618’S 69°30.405’O) – Vallée abritée (53°27.457’S 70°08.750’O) – 50 km

Après cette nuit cauchemardesque, la pluie s’est arrêtée mais le vent reste fort et de face. La lutte contre l’ennemi reprend. Ironiquement, j’aperçois une maison abandonnée, à peine plus loin que mon lieu de bivouac, où j’aurais peut-être été plus à abri. La journée finit par être ensoleillée dans l’après-midi et me permet de sécher tout ce qui a été trempé par l’inondation de la tente. Le climat local offre des images surprenantes comme ce ciel avec quelques nuages desquels tombent de la pluie sur des zones de tout juste quelques dizaines de mètres, je le vois clairement. Du coup j’essuie des minuscules averses de quelques secondes.

L'arc-en-ciel est un bon présage non ?
L’arc-en-ciel est un bon présage non ?

La pluie a laissé de grandes flaques d’eau boueuse mais il n’y a presque pas de cours d’eau claire pour que je puisse me ravitailler en eau. Je parviens à en trouver un, il faut être attentif. J’avais lu que la région était le paradis du camping en autonomie mais j’ai des doutes ! Je trouve enfin, après toute une journée de lutte contre le vent et à peine 50 km parcourus, une étendue de bonne herbe bien épaisse pour y passer la nuit. Elle est derrière une clôture que je traverse (#thuglife) mais au fond d’une petite vallée abritée du vent.

Le ciel nocturne est différent de celui de l’hémisphère nord. On ne voit pas l’étoile polaire ni la Grande Ourse, elles sont toute l’année sous l’horizon. Il n’y a pas d’étoile brillante indiquant la direction du sud, les populations australes se repéraient en utilisant les 5 étoiles de la constellation de la Croix du Sud. On retrouve la Croix du Sud représentée sur les drapeaux de plusieurs pays du Pacifique ou de régions en Amérique du Sud. Ici la « Cruz del Sur » peut être un nom de lieu, de bateau ou de marque. On peut observer depuis l’hémisphère sud la région la plus brillante de notre galaxie ainsi que les Petit et Grand Nuage de Magellan. Ce sont deux tâches lumineuses plus grandes que la Lune, des galaxies naines très proches de nous. Je tenterai de faire de la photographie du ciel, un peu plus tard dans le voyage quand il fera un peu moins froid.

2 mars, jour 253 : Vallée abritée (53°27.457’S 70°08.750’O) – Punta Arenas (53°01.971’S 70°51.574’O) – 53 km

Il fait frais et couvert mais le vent est moins terrible que la veille. Je peux avancer suffisamment vite pour atteindre la ville de Porvenir et pouvoir me ravitailler un minimum. Je rejoins vite le port à quelques kilomètres de là pour prendre le ferry du début d’après-midi traversant le détroit de Magellan et rejoignant la grande ville de Punta Arenas. Le temps réduit la visibilité des montagnes et du détroit, par beau temps la vue doit être belle, dommage.

Bon à savoir
Bon à savoir

Je peux enfin faire des courses et refaire mes stocks de vivres à Punta Arenas, ce que je n’avais plus fait depuis Ushuaia. Je ne prends pas la peine de rejoindre le centre de la ville, il est déjà plutôt tard alors je pars vers le nord m’avancer pour la suite et chercher un lieu de villégiature.

La route du bout du monde
La route du bout du monde

3 mars, jour 254 : Punta Arenas (53°01.971’S 70°51.574’O) – Villa Tehuelches – 87 km

Les eaux du détroit de Magellan
Les eaux du détroit de Magellan

Je longe le détroit de Magellan dans la matinée avant de m’aventurer dans la pampa chilienne. Là aussi, la route est vantée comme étant « la route du bout du monde » et elle passe sur « la terre des pionniers ». Rayons de soleil et gouttes de pluie se succèdent, le vent faible gagne en force dans l’après-midi comme souvent. Les longues lignes droites sont interminables mais au moins j’arrive à avancer sans voir mes efforts réduits à peu de choses.

La région de Magellan, terre des pionniers
La région de Magellan, terre des pionniers

J’arrive au village de Villa Tehuelches et rencontre Lee, un cyclovoyageur coréen. Nous sympathisons et décidons dans le village où une écurie servirait d’abri. Nous sommes rapidement rejoints par James, un cyclo venant de Nouvelle-Zélande, avec qui nous passons la soirée à cuisiner sur nos pauvres réchauds.

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4 mars, jour 255 : Villa Tehuelches – Pré à deux pas de l’Argentine (51°58.219’S 72°02.673’O) – 94 km

Une très belle journée ensoleillée commence, je peux pour la première fois rouler en short et tee-shirt depuis mon arrivée en Patagonie. Ça monte, ça descend, les premières collines des Andes se sentent. Le vent supportable le matin se renforce dans l’après-midi comme souvent. Le paysage de pampa laisse sa place à un paysage plus varié et vert : une jolie estancia (grande ferme) sur un flanc de colline, des arbres, la route qui serpente le long d’une rivière. Les montagnes andines barrent l’horizon. Je m’installe au sommet d’une de ces collines, à distance de la route après avoir escaladé la clôture et fait passer tout le matériel au dessus des barbelés. Je verrai plus tard sur la carte que la frontière argentine est vraiment proche, environ 500m, mais rien ne la signale si ce n’est la clôture d’un terrain peut-être.

Les pylônes sont un monument au vent
Les pylônes sont un monument au vent
Une estancia
Une estancia

5 mars, jour 256 : Pré à deux pas de l’Argentine (51°58.219’S 72°02.673’O) – Pré rayon de soleil (51°33.075’S 72°30.938’O) – 77 km

Matinée ensoleillée, vent supportable. J’atteins la ville de Puerto Natales à la mi-journée. Elle se situe au bout d’un bras de mer interminable qui débouche sur l’océan Pacifique (si l’on ne se perd pas en cours de route parmi les innombrables iles et bras de mer secondaires !). J’en profite pour aller au restaurant pour la première fois depuis mon arrivée en Amérique du Sud. Je goûte bien sûr la viande de boeuf de Patagonie, elle est bonne et pas chère puisque les vaches peuvent être laissées brouter en paix dans les immenses enclos que je vois quotidiennement.

Le bras de mer interminable
Le bras de mer interminable
Attention il y a un ours !
Attention il y a un ours !

La ville est orientée vers le tourisme, elle sert de point de départ pour qui veut visiter le parc national de Torres del Paine, offrant lacs, montagnes aux pics rocheux impressionnants et randonnées au milieu de tout cela. En m’arrêtant pour faire une petite pause près de la piste du petit aéroport, j’assiste à une scène cocasse : le véhicule des pompiers roule sur la piste avec la sirène à plein volume pour… chasser les vaches venues brouter au bord de la piste. Les problèmatiques de sécurité sont parfois surprenantes. Les nuages dans le ciel laissent tomber des averses au loin mais je reste au sec, je profite des jeux de lumière somptueux entre le soleil, les nuages noirs et les montagnes.

Eau, air, feu, terre
Eau, air, feu, terre

6 mars, jour 257 : Pré rayon de soleil (51°33.075’S 72°30.938’O) – Frontière argentine – 47 km

Les belles montagnes à l’horizon ouest se rapprochent. J’arrive au village de Cerro Castillo pour le déjeuner. De là part la route vers le parc de Torres del Paine. Dans un premier temps j’envisage d’y aller mais je n’avais aucune information, je découvre que les lieux intéressants se trouvent encore à 100 kilomètres. Ça nécessiterait deux très très grosses journées pour y aller et en revenir.

Je rencontre un groupe de cyclovoyageurs états-uniens, vous savez ces gens qu’on voit dans les films mais qu’on ne voit jamais en voyage, sans doute trop occupés à travailler plus pour gagner plus ! Plus sérieusement, c’est vrai qu’ils sont rares, j’ai rencontré bien plus de Français, d’Allemands, de Polonais ou d’autres Européens. Ils m’initient d’abord à l’appli « iOverLander » qui indique toutes sortes de lieux d’intérêt pour un cyclovoyageur (lieu de bivouac, points d’eau…) à partir des contributions des autres utilisateurs. Et ils me disent que la météo prévoit du très mauvais temps avec vent fort et pluies diluviennes pour le lendemain et les jours suivants. Ça douche ma motivation déjà faible pour me rendre au parc national. Je poursuis donc ma route et quitte le Chili pour un temps par le poste frontière de Cerro Castillo.

 

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