Récit de voyage : Géorgie

du 24/09/2016 au 03/10/2016

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24 septembre, jour 94 : Frontière Turque – Batoumi (11 km)

L’entrée en Géorgie se fait en passant dans un espèce de terminal d’aéroport. Ils font les choses sérieusement, les bagages sont même scannés aux rayons X ! C’est toujours intéressant de noter les changements en à peine quelques minutes et quelques kilomètres. À la mosquée installée à la frontière côté turc, le pendant géorgien est une église bien sûr. Les supérettes mettent en évidence et en vitrine toutes sortes d’alcools, sans doute pour les clients turcs venus consommer ou s’approvisionner. Si l’alcool est vendu librement en Turquie, il n’est pas disponible partout et il est fortement taxé. Des publicités vantent les casinos de la ville de Batoumi à quelques kilomètres de la frontière et des « night clubs » ponctuent la route, même si tout semble triste et désert par ce temps en ce début d’automne. La zone frontalière côté Géorgie est sans doute l’exutoire pour les habitants du nord-est de la Turquie.

Je trouve place pour dormir sur une prairie mais celle-ci est inondée. Je m’enfonce parfois dans l’eau jusqu’aux tibias… Je trouve quand même un endroit moins gorgé d’eau que le reste pour installer ma tente.

Coucher de soleil clément
Coucher de soleil clément

25 septembre, jour 95 : Batoumi – Pozi (96 km)

Je suis réveillé au bruit des fusils : apparemment j’ai passé la nuit sur le terrain favori des chasseurs de la région ! Je vais finir par me faire trouer la peau un de ces jours.

De la pluie, encore de la pluie, toujours cette fichue pluie. Je visite rapidement la ville de Batoumi, bien triste sous ce ciel gris. C’est la station balnéaire de la région avec hôtels de luxe, casinos, restaurants chics et attractions sur le bord de mer. Pour avoir mieux, il faudrait se rendre à 300 km de là, à Sotchi en Russie.

Architecture curieuse dans le quartier touristique de Batoumi
Architecture curieuse dans le quartier touristique de Batoumi

Je découvre le plaisir suprême (ironie) de rouler sur une « highway » juste assez large une voie dans chaque sens, en France on appellerait ça « petite route départementale ». « Highway » ça fait classe sur le papier mais il faudrait s’en donner les moyens parce que je manque d’être fauché par des poids lourds à plusieurs reprises. Et pas le choix, il n’y a qu’une seule route. La situation s’améliore beaucoup dans l’après-midi lorsque le terrain s’aplanit et que je passe sur des routes plus calmes.

À l’heure du déjeuner, alors que je recherche un abri, des femmes me posent les quelques questions habituelles (« tu viens d’où ? tu vas où ? ») et me demandent ce que je fais là. Je réponds que je cherche un endroit où manger (mon pique-nique). Une des femmes me propose de m’installer dans ce qui semble être un restaurant fermé et m’apporte un repas complet. Cool ! Je ne sais jamais comment remercier les gens de leur gentillesse.

Après une dernière violente averse, le temps se calme dans le courant de l’après-midi. J’ai même droit à un superbe coucher de soleil sur le bord de mer avant d’aller me coucher…

Dernier point de vue sur la mer Noire
Dernier point de vue sur la mer Noire

26 septembre, jour 96 : Pozi – Khoni (90 km)

Le soleil, enfin ! Je dis adieu à la mer Noire pour me diriger vers les terres vers l’est. À ma droite je vois le Petit Caucase, les montagnes à cheval sur la Géorgie, la Turquie et l’Arménie, tandis qu’à ma gauche se révèlent les sommets enneigés du Grand Caucase, derrière lesquels se trouvent la Russie et le Mont Elbrouz, le toit de l’Europe (désolé pour la France).

Grand Caucase enneigé
Grand Caucase enneigé

Journée agréable puisque je peux enfin rouler en tee-shirt et faire sécher mes affaires. Même en faisant attention, l’humidité avait fini par entrer dans les affaires et ne plus en partir. Un short lavé 5 jours plus tôt n’a pas pu sécher.

Dans l’après-midi, j’ai l’occasion de visiter des ruines d’un ancien… j’en sais rien, ils ne disent pas ce que c’était ! C’est une sorte de petite cité fortifiée construite à partir du 4ème avec les fondations de bâtiments (palais, chapelle…) et une église du 6ème siècle encore en bon état. La Géorgie a été un des premiers état christianisé, ça permet de contextualiser ces ruines.

Église du 6ème siècle
Église du 6ème siècle

27 septembre, jour 97 : Khoni – Tsageri (80 km)

Je me dirige maintenant vers le nord, avec l’intention de traverser une petite partie du Caucase. J’espère pouvoir passer au pied de montagnes impressionnantes voire enneigées et rouler au fond de canyons. Le relief a l’air assez marqué sur la carte.

Plus que 46 millions de kilomètres pour arriver sur Mars !
Plus que 46 millions de kilomètres pour arriver sur Mars !

Je commence à avoir un bon aperçu du pays et notamment des traces de l’ère soviétique. On trouve dans les villes de très larges places. On trouve aussi beaucoup de bâtiments à l’abandon, aux vitres brisés, à l’acier rouillé et envahis de végétation, c’était peut-être des bureaux d’administration ou d’une entreprise publique disparue. Je n’ai pas trouvé de vrai supermarché avec un vrai choix de produits, à la place il y a des petites boutiques (« market ») proposant très peu de produits, placés derrière le comptoir. Je me retrouve donc à pointer de doigt pour voir de plus près si le produit est bien celui que je veux. Il y a aussi très peu d’espaces publics donc je pique-nique souvent par terre sur un terrain vague ou un pré. Ça donne une ambiance vraiment austère, ça correspond à peu près à l’idée que je me faisais de l’URSS.

Bâtiment presque à l'abandon mais néanmoins surveillé
Bâtiment presque à l’abandon mais néanmoins surveillé

Donc je grimpe les premières collines avant de remonter la vallée d’une rivière. Les versants sont très verts, des falaises surplombent parfois la vallée mais pas de trace de belles montagnes enneigées que je voyais depuis la plaine 🙁

Mais ils sont où les sommets enneigés ??
Mais ils sont où les sommets enneigés ??

28 septembre, jour 98 : Tsageri – Tkibuli (80 km)

La journée débute par une rude montée, plus de 400m de lacets dans le froid du matin. Après le col, je longe un lac de barrage puis je passe au fond des gorges de la rivière issue du barrage. Maigre lot de consolation, mes efforts dans les montagnes n’ont pas porté leurs fruits question paysage. Le reste du parcours est banal et sans intérêt.

Lac de barrage et début des gorges
Lac de barrage et début des gorges

Il faut que je fasse attention en choisissant ma route dans cette région parce que je peux me retrouver en Ossétie-du-sud ! C’est une région de Géorgie qui s’est déclarée indépendante et qui était l’objet de la guerre de 2008 entre la Géorgie et la Russie. Attention donc à ne pas me retrouver pris pour un espion ou pire !

Le temps se gâte dans l’après-midi alors que j’entame l’ascension du col suivant, passant de 400m à 1200m d’altitude. C’est une pluie battante, et même glaciale en altitude, qui m’accompagnera pendant toute la montée. Mes orteils à découvert s’engourdissent jusqu’à ne plus les sentir. Au passage du col, le vent fort vient s’ajouter à mes peines. Dans ces conditions, le freinage est peu efficace et c’est pendant cette longue descente au ralenti que la lumière du jour décroit. J’essaie de redescendre assez bas pour passer la nuit par des températures plus clémentes qu’en altitude. C’est trempé et frigorifié que je termine cette excursion en montagne…

Des conditions parfaites... Pour rester chez soi !
Des conditions parfaites… Pour rester chez soi !

29 septembre, jour 99 : Tkibouli – Saghandzile (72 km)

Je finis de descendre du piémont caucasien pour arriver sur la plaine centrale. Toujours sous la pluie.

Les villes ressemblent à ça
Les villes ressemblent à ça

Je récupère la principale route est-ouest du pays. Je passe donc l’après-midi parmi les engins de mort, les tombeaux roulants et les épaves crachant leur huile de friture mal brûlée, je vous recommande vraiment cette expérience 😉

D'expérience, dans ces cas-là, il faut pousser une statue mais il me manque les bracelets de force :(
D’expérience, dans ces cas-là, il faut pousser une statue mais il me manque les bracelets de force 🙁

À une intersection, j’ai le choix entre deux routes, chacune passant d’un côté d’un massif montagneux. Leur longueur est similaire, le dénivelé proche, l’une est classée comme toute nationale et pas l’autre. Le GPS me dit de prendre la nationale et tous les véhicules font de même. Malin comme je suis, je prends l’autre route pour être tranquille… Mes regrets au prochain épisode.

30 septembre, jour 100 : Saghandzile – Borjomi (84 km)

Je m’étais engagé sur une route secondaire la veille. Il s’avère qu’elle n’est pas goudronnée sur plus de 40 km… C’est donc une lutte sans merci pendant toute la matinée, à slalomer entre les trous et les rochers, toujours concentré pour éviter d’être trop secoué et casser du matériel.

Sans commentaire
Sans commentaire

C’est épuisant, j’avance avec une vitesse moyenne de même pas 10km/h, mes poignets doivent encaisser toutes les secousses, ils me feront mal le restant de la journée. Tout ceci sous la menace constante de la pluie. Quelques gouttes tombent mais rien de très sérieux finalement. Je vois le bout de calvaire à midi, avec d’abord la piste qui devient une descente puis, une fois la route principale rejointe, enfin du goudron. J’ai l’impression de rouler sur un nuage à ce moment-là :’)

Des ouvriers chinois travaillent à creuser un long tunnel qui évitera les dizaines de km de détour
Des ouvriers chinois travaillent à creuser un long tunnel qui évitera les dizaines de km de détour

C’est intéressant comme voyage pour qui s’intéresse à la météorologie. En finissant de traverser le massif, le brouillard et le ciel imperturbablement couvert laissent brutalement place au soleil. L’air chargé d’humidité en passant au dessus de la mer Noire arrose l’ouest du pays. En arrivant sur les montagnes, l’air humide s’élève et se refroidit, il forme des nuages et des pluies locales. En arrivant sur les plaines à l’est, l’air est plus sec et laisse le soleil percer.

Soleil côté plaine, nuages côté montagne
Soleil côté plaine, nuages côté montagne

Je repars néanmoins vers le sud-ouest pour me diriger vers l’Arménie. Je retrouve des nuages mais plus éparses, je suis maintenant protégé par tout le massif du Petit Caucase. La route serpente au fond de la vallée, les petites montées-descentes se suivent mais je reste globalement à 900m d’altitude. En fin de journée, je commence à m’engager sur la route censée me mener au col de 2400m puis sur le plateau séparant la Géorgie de l’Arménie. Un monsieur m’interpelle et me dit de ne pas y aller, beaucoup trop difficile comme route. Après les galères de la matinée, je lui fais confiance et prend une autre route plus longue de 50km mais sans col et surtout avec du goudron !

1er octobre, jour 101 : Borjomi – Aspindza (88 km)

Dans la vive fraîcheur du matin, je fais un petit détour pour visiter le Monastère Vert (me demandez pas pourquoi ce nom). En visitant le clocher, on peut voir de jolis crânes humains alignés. En entrant dans l’église, je surprends les moines en pleine prière du matin. Ils suivent le rite orthodoxe. La légende dit que lorsque les perses ont conquis la région, des moines ont été tués et leur sang aurait coulé jusqu’à la rivière plus bas dans la vallée. Des pierres auraient été marquées de la couleur rouge et auraient des vertues guérissantes encore de nos jours !

Monastère Vert
Monastère Vert

Je continue ma progression vers l’ouest dans le fond de la vallée et avec le soleil qui se montre enfin (le timide !). Sur quelques kilomètres, je vois clairement le changement de climat, passant d’humide à aride. Les forêts très vertes laissent place à une végétation rase et jaunie, sauf sur les bords de la rivière où l’eau ne manque pas. Je retrouve peu à peu des paysages des montagnes turques.

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Après le déjeuner, j’en profite pour faire un peu de maintenance sur le vélo : échange de la chaine, remplacement des patins des freins arrières. Les patins n’auront duré que 500 km avant d’être usés jusqu’au métal, ça m’apprendra à acheter de la marque, les patins des freins avants sans marque ont 10000 km et ont encore un peu de marge !

Je me dirige maintenant vers le sud pour monter lentement vers les hauts plateaux séparant la Géorgie de l’Arménie. La route suit de près la grande rivière qui a creusé la profonde vallée. La montée est assez douce, alternant montées et descentes. En fin de journée des policiers m’arrêtent pour… me demander si tout va bien et si je n’ai besoin de rien 🙂

Les Géorgiens sont très très attentionnés, plusieurs fois ils sont venus me voir pour me demander s’ils pouvaient aider. Parfois, voyant que je ne parle pas géorgien ou russe, ils vont appeler au téléphone une connaissance parlant anglais pour me demander quel est mon problème… alors que je suis bêtement en train d’installer ma tente par exemple. C’est vraiment quelque chose vécu ici et nul part ailleurs pour le moment.

2 octobre, jour 102 : Aspindza – Gorelovka (82 km)

Je continue de monter dans le fond de la vallée que la rivière a creusé, les parois font jusqu’à 400m de haut. Au bout de la route, je finirai par atteindre le plateau à 1600m d’altitude. Des forteresses surplombant la vallée permettaient de contrôler les communications. Peu avant le bout de la vallée, je tombe sur un wagon posé entre les deux berges de la rivière, comme un pont mais très difficile à emprunter puisqu’il manque la moitié du plancher à l’intérieur ! Très curieux de s’être embêté à transporter un wagon jusqu’ici…

Le train-pont
Le train-pont

Dans l’après-midi, je poursuis ma route sur le plateau qui continue de monter jusqu’à près de 2200m. J’avance difficilement à cause du relief, de la route en mauvais état et surtout du vent de face. Je pose plusieurs fois pied à terre, ça me rappelle les débuts de la Turquie :’). J’aperçois pendant cette section le Mont Didi Abuli, point culminant de la Géorgie dans le Petit Caucase à près de 3300m. Son sommet est enneigé, ce qui donne une bonne idée des températures là-haut. Je passe la nuit à quelques kilomètres de la frontière, à 2130m d’altitude. La température chute brutalement quand le soleil se couche, ça sera une nuit bien froide.

C'est Didi !
C’est Didi !

3 octobre, jour 103 : Gorelovka – Frontière Arménienne (10 km)

J’ai bien fait de m’installer entre les sapins, le léger vent glacial a peut-être été atténué et évité le gel de ma tente. Ailleurs dans la plaine, les herbes sont couvertes de givre et les flaques d’eau gelées. Je roule pour la première fois en pantalon et manches longues. Le soleil monte lentement dans le ciel mais ne dispense pas encore assez de ses rayons. Je m’avance jusqu’à la frontière que je passe sans aucune difficulté.

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