Récit de voyage : Argentine (2ème partie)

du 06/03/2017 au 15/03/2017

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6 mars, jour 257 : Frontière chilienne – Cabane dégueu (51°13.608’S 72°06.840’O) – 15 km

Je m’inquiète pour le fromage que je transporte, je n’ai normalement pas le droit de traverser la frontière avec mais c’est mon repas du lendemain et il n’y a pas de ravitaillement avant 200 km (#firstworldproblem). En réalité, les gardes Argentins de cette frontière où personne ne passe jouent à FIFA sur leur Playstation. Ils sont pressés de tamponner le passeport et de me voir partir pour reprendre leur match !

La route est une piste caillouteuse et vallonnée sur une quinzaine de km avant que je ne rejoigne la route nationale bien goudronnée. Je m’arrête à un petit bâtiment cubique à l’abandon, peut-être un ancien atelier de mécanique ou un petit magasin. Une des faces est cassée et renversée, le toit est troué et le sol est sale (coucou la petite souris !) mais ça me fournit un abri suffisant pour échapper au vent et à la pluie annoncées.

7 mars, jour 258 : Cabane dégueu (51°13.608’S 72°06.840’O) – Dans la pampa (50°42.777’S 71°25.905’O) – 85 km

Le temps est resté clément pendant la nuit. Je reprends la route à travers la pampa vide jusqu’à une intersection où un dilemme se présente. Dois-je prendre un raccourci par la route caillouteuse de 65 km ou bien rester sur la route goudronnée de 145 km ? Je n’hésite pas vraiment, allons sur la route caillouteuse ! J’apprends que ce type de route s’appelle ici un « ripio ».

La station service au milieu de la pampa
La station service au milieu de la pampa

Les difficultés commencent très vite et m’accompagnent pendant tout le reste de la journée. Très peu de sections sont lisses, le vélo est souvent secoué dans tous les sens et je manque parfois d’adhérence pour rouler, je dérape ou je patine. Mais il n’y a quasiment personne, je vois à peine une trentaine de véhicules et je passe parfois une demi-heure totalement seul. Les terrains de part et d’autre de la route ne sont même pas clôturés, il n’y a parfois rien que des touffes d’herbe pointue à perte de vue dans toutes les directions. C’est le paysage le plus désolé que j’ai vu en Patagonie et peut-être du voyage entier. Je manque d’eau mais je finis par trouver un petit ruisseau où je peux recueillir l’eau et la filtrer ; le résultat a une couleur jaunâtre mais ça fera l’affaire.

C'est un peu monotone...
C’est un peu monotone…

Je finis la journée presque au bout de la route. Je m’installe sur un terrain de touffes d’herbe et j’essaie de niveler le sol en arrachant l’herbe, ça fera l’affaire. La pluie annoncée depuis la veille arrive dans la nuit, d’abord légère.

8 mars, jour 259 : Dans la pampa (50°42.777’S 71°25.905’O) – El Calafate – 107 km

Je range la tente sous la pluie et sous le vent d’est. Je finis la route caillouteuse qui avait fini par devenir lisse avec un revêtement de terre battue. Avec la pluie, cela devient très salissant… Je débouche enfin sur la route principale, je m’abrite à côté des bâtiments de l’administration de la voirie argentine pour le petit-déjeuner. Apparemment ils accueillent les cyclistes gratuitement dans la maison à disposition des travailleurs en mission mais je l’apprends trop tard !

Je me lance sur la route vers le nord à destination d’El Calafate. La pluie s’intensifie, le froid me gèle les mains. Je porte mes gants qui finissent trempés mais c’est mieux que de rouler à mains nues. Mes vêtements sous la tenue de pluie finissent aussi par être trempés à cause de la sueur et de la condensation de l’air humide. Au moins le fort vent de sud-est m’est très favorable et me pousse. Je roule en continu, je n’ose pas m’arrêter de peur de refroidir. Ça serait tellement misérable de m’arrêter et m’asseoir sous la pluie et le vent à grelotter.

Donc je pousse, je ne sens plus mes orteils nus dans les sandales mais je me dis que je ne peux pas avoir d’engelures s’il ne gèle pas. Et il ne gèle pas, il fait un beau 5°. Sans m’en rendre compte, je suis monté de 300m, à 800m d’altitude. La route domine la vallée du Rio Santa Cruz, un grand fleuve de Patagonie qui se jette dans l’Atlantique. La vue est certainement époustouflante par beau temps mais pas avec ces nuages bas et cette pluie. La longue descente de 600m s’amorce, je me laisse glisser mais je garde difficilement le contrôle de ma vitesse. J’ai beau serrer les freins, il me faut des centaines de mètres pour m’arrêter. Mes freins sur jante sont vraiment inefficaces par temps de pluie. Et ils s’usent en un rien de temps, je finis la descente avec les freins arrières complètement usés, le support des freins attaque maintenant la jante…

Vallée du Rio Santa Cruz
Vallée du Rio Santa Cruz

Je finis par m’arrêter après 70 km pour déjeuner devant une estancia. Le gardien me voit, misérable, et m’accueille dans son petit logement pour que je mange au sec et me réchauffe. Après cette pause bienvenue, je m’élance pour la dernière partie vers El Calafate. Le vent tourne et vient du sud, c’est-à-dire du côté gauche, j’ai du mal à garder ma trajectoire droite, surtout en cas de dépassement. Et des cars de touristes qui se rendent à El Calafate, ça ne manque pas. La pluie me fouette le visage, je garde difficilement les yeux ouverts. J’arrive enfin à El Calafate, après 107 km faits en un temps record !

J’avais prévu de camper au bord du lac mais vu le piteux état dans lequel je me retrouve et la pluie qui continue, je vais me reposer dans une auberge. Il est tombé ce jour et la nuit suivante autant de pluie qu’en un mois.

9 mars, jour 260 : Glacier Perito Moreno

El Calafate est la grande ville touristique de la région. Située sur la rive sud du Lago Argentino, un grand lac glaciaire qui donne naissance au Rio Santa Cruz, l’attraction principale est le Glacier Perito Moreno à 80 kilomètres de là. N’ayant pas envie de rouler toute cette distance aller puis retour, je prends un bus (450 pesos, soit 27 euros !). L’entrée du site coûte 500 pesos, soit 30 euros ; le prix avait été augmenté de 50% la semaine précédente sans doute à cause d’un mélange d’inflation galopante et de volonté de se faire un peu plus d’argent sur le dos des touristes. Les rumeurs entendues en ville parlent d’un cycliste qui serait rentré sans payer la veille, en passant tout droit devant les gardiens sans s’arrêter, ces derniers n’auraient pas tenté de le rattraper :’)

Glacier Perito Moreno
Glacier Perito Moreno

Le glacier Perito Moreno descend les montagnes pour se jeter dans le Lago Argentino en formant un mur de glace long de 7 kilomètres et atteignant 70 mètres de haut, à tout juste 185m d’altitude. Il prend sa « source » dans le champs de glace Sud Patagonie qui recouvre les montagnes de cette région, c’est le troisième plus grand champs de glace du monde derrière l’Antarctique et le Groenland. Le site d’observation est un ensemble de passerelles bien intégrées à une petite montagne qui fait directement face au glacier. En marchant d’un bout à l’autre, on peut voir l’ensemble du glacier et s’en rapprocher à quelques 200 mètres. Le spectacle est visuel mais aussi sonore, on entend la glace se craqueler, se fendre et se briser. Le son d’un bloc de glace qui se détache et tombe dans le lac nous alerte mais à cause de la distance il est souvent trop tard pour voir l’événement se produire. Par cette belle journée ensoleillée, la fonte est certainement accélérée et on voit parfois des blocs de plusieurs mètres tomber dans l’eau et la projeter jusqu’à 30 ou 40 mètres de haut. En fin d’après-midi, on aura même l’occasion de voir un pan entier du front de glace se détacher et tomber dans le lac, les eaux resteront agitées et un grondement se fera entendre pendant 5 bonnes minutes à la suite de cet événement. Un lieu exceptionnel qui mérite le détour.

Les passerelles qui permettent de marcher entre les différents points de vue sur le glacier
Les passerelles qui permettent de marcher entre les différents points de vue sur le glacier

10 mars, jour 261 : El Calafate – Casa rosa (49°53.436’S 72°02.604’O) – 96 km

Je reprends la route après cette pause touristique, en direction d’El Chaltén. Je reprends la route de l’avant-veille en sens inverse sur une trentaine de kilomètres pour revenir sur la route principale, la Ruta 40. Cette route célèbre suit grosso modo les Andes sur leur piémont est mais je ne comprends pas le délire : elle passe loin des montagnes, au milieu de la pampa désolée et il parait qu’elle est très monotone un peu plus au nord. À l’intersection avec la Ruta 40, je déjeune et rencontre deux cyclistes venant de directions différentes : Kanetomo japonais et Iria espagnole, ils roulent chacun de leur côté depuis plus de deux ans sur le continent américain. Respect !

À la sortie d'El Calafate
À la sortie d’El Calafate

J’en apprends un peu plus sur la suite de mon parcours, notamment la présence d’une maison abandonnée où je peux loger ce soir. La route passe au dessus du Rio Santa Cruz qui ondule dans la plaine puis je prends de l’altitude et aperçoit le Lago Argentino. Sa couleur bleu ciel est comme projetée sur les nuages ! Le vent est faible et même plutôt favorable alors que cette partie est parmi les plus venteuses, en témoignent les nombreux panneaux routiers montrant un palmier (???) courbé. La chance est avec moi. Je finis par arriver à la Casa Rosa où je rencontre Simon, un cyclovoyageur français se dirigeant aussi vers le nord et la Carretera Austral au Chili.

Casa Rosa
Casa Rosa

11 mars, jour 262 : Casa rosa (49°53.436’S 72°02.604’O) – El Chaltén – 120 km

Grosse grosse journée. Avec Simon, nous visons l’arrivée à El Chaltén en fin de journée pour éviter la pluie prévue par la suite. Il s’agit de pédaler aussi longtemps que possible sans pause pour faire les 120 kilomètres qui nous séparent de l’objectif. Je suis rapidement semé par la fusée (il n’a même pas un mois dans les jambes le rookie 😉 ).

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La route se dirige d’abord vers le nord puis part vers l’ouest en longeant le Lago Viedma. Le ciel se dégage et nous offre un superbe spectacle. La ligne d’horizon révèle les montagnes étincelantes prises par les glaces et le Lago Viedma prend la même couleur que le ciel. Le Cerro Fitz Roy, un pic de granite très reconnaissable, se montre même au loin ; notre destination de la journée est au pied de la montagne.

Ligne d'horizon du Lago Viedma
Ligne d’horizon du Lago Viedma

Levent est paisible jusqu’en début d’après-midi alors que de nombreux cyclistes en font encore aujourd’hui des cauchemars. Certains disent avoir été jusqu’à rouler de nuit pour bénéficier d’un vent moins fort. Il finit par se lever, soufflant de l’ouest donc de face, et je comprends la douleur de mes prédécesseurs alors qu’il n’a pas sa force maximale. Je fais de gros efforts pour avancer lors des 50 derniers kilomètres. L’approche d’El Chaltén est difficile, il faut monter, le vent se renforce, le ciel se couvre et la température chute. Je suis bien content d’arriver au village après 11 heures de vélo. Nous logeons à la « Casa de Ciclistas », un camping (cher et pas terrible) où d’autres cyclistes font halte.

Le Cerro Fitz Roy se montre au loin (à droite)
Le Cerro Fitz Roy se montre au loin (à droite)

On y croise une grande diversité de la faune cycliste, du classique comme moi à l’ultra léger bikepacker qui roule autant qu’il randonne et à l’opposé les vélos couchés équipés d’une voile.

12 et 13 mars : El Chaltén

Deux jours de pause à attendre un bateau bi-hebdomadaire pour traverser le Lago O’Higgins au Chili. Le premier jour est très pluvieux comme c’est souvent le cas ici. Nous essayons de faire une randonnée mais le vent fort nous dissuade de continuer. Le lendemain, grand ciel bleu et vent nul : nous nous lançons sur le sentier de randonnée qui monte jusqu’à un lac au pied du Fitz Roy. C’est peut-être une des plus belles marches du monde, montant à travers les forêts de hêtre et les moraines d’anciens glaciers, à l’ombre du pic imposant et de ses glaces, jusqu’à un lac à l’eau turquoise. La montagne culmine à 3405 mètres mais le sommet est un des plus difficiles à gravir à cause de la roche et du climat venteux. D’autres sommets autour du Fitz Roy portent notamment les noms d’aviateurs français tels que Mermoz ou Saint-Exupéry. Derrière le massif se trouve le vaste champs de glaces Sud de Patagonie, le même que je longe depuis des jours et qui donne naissance au Perito Moreno. Nous sommes de fait en Argentine mais en raison d’un conflit frontalier sur une grande partie du massif, nous sommes au Chili (d’après le Chili 🙂 ).

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Bien que l’on soit en fin de saison, il y a pas mal de monde. Il faut faire la queue pour certains passages ardus. Je fais la randonnée en sandales parce que je ne rentre plus dans mes chaussures ; ce n’est pas l’idée du siècle, surtout lorsque je tape mon gros orteil sur une pierre et que la peau est arrachée sur un bon centimètre carré. Pas de quoi laisser tomber la randonnée mais ça mettra beaucoup de temps à cicatriser (j’écris 12 jours plus tard et c’en est encore loin).

14 mars, jour 265 : El Chaltén – Lago del Desierto punta norte – 36 km

On se lance après les deux jours d’arrêt. Sous la pluie. En ce moment c’est un jour de beau temps, un jour de pluie, et on recommence. Nous faisons les courses avant de partir parce qu’il parait que côté chilien c’est encore plus cher. Et ça fait très mal : par exemple 2.50€ les 500g de spaghettis ! Et le pire c’est que les prix ne sont pas indiqués donc c’est un peu la surprise lors du passage en caisse.

Ça me fait penser au prix des timbres pour envoyer des cartes postales (ou une lettre) : 5€ ! Et partout, pas seulement dans un village reculé. Après les prix de la visite du glacier, ça donne une idée du coût d’un voyage en Argentine et du coût de la vie pour les gens habitant dans la région. Il n’y a pas d’autres villes à moins de 200 kilomètres.

Lago del Desierto avec les nuages
Lago del Desierto avec les nuages

Nous nous engageons sur la piste de terre et de pierre après El Chaltén et qui se termine en cul-de-sac au Lago del Desierto. Le vent et la pluie rendent la progression difficile mais nous arrivons à temps au lac pour emprunter le bateau. Il coûte une fortune, l’équivalent de 39€ pour 45 minutes, ça fait cher la minute. Nous passons la nuit au poste frontière argentin situé à la pointe nord du lac. Le ciel se découvre en fin d’après-midi et nous laisse admirer la silhouette du Fitz Roy. Il est vrai que la piste empruntée à la sortie d’El Chaltén était censée offrir un superbe panorama dont on n’a rien vu…

Lago del Desierto sans les nuages
Lago del Desierto sans les nuages

15 mars, jour 266 : Lago del Desierto punta norte – Frontière chilienne – 7 km

Ne pas se fier à la distance… C’est le passage de frontière de l’extrême ! Pour passer au Chili, il faut en effet emprunter un sentier de randonnée, il n’y a aucune autre possibilité. Pas de route ou de chemin caillouteux, c’est un sentier qui monte d’environ 250m à travers la forêt. Les plus aisés peuvent louer des chevaux, les marcheurs mettront deux bonnes heures et les damnés de la terre avec une bicyclette devront la pousser. Au menu, des pentes raides où le sentier forme une profonde rigole, des passages de rivière avec l’eau à hauteur de genoux, des mares de boue jusqu’aux mollets, des racines et des pierres qui représentent autant d’obstacles pour le vélo. Nous sommes heureusement à deux pour pousser les vélos un par un dans les passages les plus étroits. Les gens sont normalement forcés de monter les vélos déchargés avant de repartir chercher le matériel. Après ces profondes rigoles, les passages de rivière où l’on essaie de soulever le vélo (45 kg !) mais on abandonne bien vite cette idée et on pousse simplement en laissant l’eau monter à mi-sacoches. Pareil pour la boue, une fois que l’on en a jusqu’aux genoux ça ne sert plus à rien d’essayer de l’éviter, autant y aller franco. Les bras travaillent énormément, il faut pousser avec les bras pour passer par dessus les pierres et les racines, il faut retenir le vélo qui est irrésistiblement tiré par la pente, il faut le garder droit alors qu’il dérape. Il a bien fallu près de 4 heures pour faire les 7 kilomètres et atteindre le col…

Ce n'est que le début
Ce n’est que le début

 

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