du 12/10/2016 au 26/11/2016
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12 novembre, jour 143 : Ziba Shahr – Dare Asaloo (61 km)
13 novembre, jour 144 : Dare Asaloo – Fath Abad (104 km)
14 novembre, jour 145 : Fath Abad – Nasir Khani (103 km)
Après deux semaines à bouder, je reprends le récit, ça serait dommage de gâcher le travail sur le blog à cause de ces mésaventures.
L’environnement a changé depuis Shiraz, l’altitude a diminué et les palmiers, auparavant totalement absents, sont maintenant omniprésents. Après des zones désertiques de pierres et même de dunes de sable fin entre Esfahan et Shiraz, je m’attendais à un terrain comparable en descendant toujours plus au sud mais ce n’est pas le cas. Les massifs montagneux sont orientés ouest-est et entre deux massifs, de larges plaines plates où on trouve champs, routes et de rares villes. Tant que la route est parallèle aux montagnes, tout va bien mais pour aller vers le sud, la route doit contourner les massifs et allonge les distances. Le trafic est léger, je peux rouler à l’écart des autres véhicules sur l’accotement mais leur vacarme assourdissant ne me permet pas de pédaler oreilles nues, j’ai maintenant en permanence les écouteurs dans les oreilles.
Il ne se passe pas grand chose de la journée, je regarde défiler les champs de palmiers (des dattiers ?) et d’agrumes (citrons, oranges, clémentines) carrément délimités par des murs de parpaings. Les cultures doivent valoir de l’or ! Au delà de la vallée cultivée, ce n’est que roche et sable. Dans l’après-midi je dois entreprendre une longue ascension, 500m de dénivelé, que je redescends en fin de journée.
15 novembre, jour 146 : Nasir Khani – Lar (105 km)
Je continue de rouler dans ces larges vallées encadrées de montagnes au nord et au sud. Les cultures d’agrumes ont laissé leur place aux champs de coton.
Dans l’après-midi, je commence à regarder les dates des ferries pour rejoindre Dubaï. Je peux raisonnablement viser celui de samedi 19 au matin. Celui du lendemain m’arrange peu, il part à 22h et arrive à destination 6 heures plus tard, qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire à Dubaï en pleine nuit avec tout mon attirail ?
Heureux hasard, juste après avoir consulté les dates des ferries, je tombe sur le premier panneau indiquant la distance jusqu’à la ville portuaire : « Bandar Lengeh : 340 km ». À faire en 3 jours donc… Eh bah il faut pas trainer ! Je commence par foncer jusqu’à la tombée de la nuit et même encore un peu plus tard. Je m’arrête toujours avant qu’il fasse vraiment nuit parce que j’ai peur du noir (rigolez pas ! on ne sait jamais sur quoi on peut tomber : serpents, chiens errants ou même des loups… c’est quand même plus commode de les voir arriver ces bébêtes !) et parce que je choisis toujours le terrain pour passer une nuit tranquille, à l’abri des curieux, sur un terrain plutôt plat, sans caillou mal placé qui pourrait être inconfortable ou abîmer le matériel. Cette fois-ci, vu qu’il fait nuit noire quand je m’arrête, pas moyen de voir à plus de 20m avec la lampe frontale pour trouver un terrain moins caillouteux. Je suis déjà heureux d’avoir trouvé un terrain plat. Je balaie donc le sol avec mes pieds pour le rendre aussi plat et dégagé que possible. Mes pieds finissent dégueulasses, c’est pas très glamour le voyage à vélo…
16 novembre, jour 147 : Lar – Biseh (108 km)
Grosse journée, grande distance mais aussi beaucoup de zigzag pour contourner les massifs montagneux !
Je trouve sur les côtés de la route de plus en plus de dômes avec quelques ouvertures permettant à un homme d’y entrer. Il s’agit de réservoirs d’eau profonds de 3-4m et d’environ 10m de diamètre. Je n’en avais pas vu plus au nord mais ils sont très communs dans le sud du pays. De même, en ville on trouve très souvent des fontaines d’eau réfrigérée alors que plus au nord ce sont simplement des robinets. Comme on se rapproche du niveau de la mer, ici les températures doivent dépasser allègrement les 40°C en été. Je perçois moi-même la différence alors que l’hiver approche, les nuits sont douces et je n’ai plus besoin de me couvrir le matin avant le lever du soleil, les journées sont chaudes et je sue comme je n’ai plus sué depuis l’été en Europe !
À l’approche de la nuit, je m’installe derrière une butte. Les alentours sont accidentés avec des buttes et des fossés. J’entends plusieurs fois dans la soirée et au cours de la nuit des animaux hurler : des loups ? Des chiens ne font pas ce bruit là. L’animal n’est pas très loin, une centaine de mètres peut-être. Je ne suis pas très rassuré quand je sors une dernière fois de la tente pour me brosser les dents.
17 novembre, jour 148 : Biseh – Laavaredin (94 km)
Le paysage ne change pas de la veille. Je continue de descendre et de me rapprocher de la mer.
Comme je prends un raccourci d’une trentaine de kilomètres par rapport à la route officielle, je peux « relâcher » mes efforts par rapport aux jours précédents et prendre mon temps pour déjeuner au restaurant. Je commence à préparer la suite du voyage en contactant des boutiques de vélo de Muscat, capitale d’Oman, pour m’assurer de la disponibilité de carton pour emballer le vélo et prendre l’avion.
Je termine la journée entre montagnes et canyons, difficile de trouver un terrain plat à l’écart de la route. Je finis par m’arrêter à un restaurant sur un grand terrain plat. Les propriétaires me déconseillent de dormir à l’extérieur, il y a des animaux dont des « gorks ». Après vérification, cela veut dire loups. J’avais déjà eu le droit à des avertissements plusieurs jours auparavant : « ne prends pas cette route, il y a des loups ». On me propose plutôt de dormir dans une pièce vide à côté du restaurant. Après avoir vu des énormes cafards fringants dans les toilettes, j’installe quand même ma tente sur le tapis pour dormir à l’abri. La température restera chaude jusqu’au petit matin et les camions roulant en pleine nuit terriblement assourdissants.
18 novembre, jour 149 : Laavaredin – Bandar Lengeh (99 km)
En début de matinée, je traverse un terrain accidenté fait de collines, de canyons et de falaises taillés dans tous les sens. J’aboutis finalement sur la plaine côtière, avec la mer encore à quelques dizaines de kilomètres, mais entre nous, rien d’autre qu’une étendue plate de sable et de petits buissons ras. J’aurais bien entrepris la traversée de ce vrai petit bout de désert mais la piste que j’aperçois n’est pas sur ma carte, je risquerais de me retrouver à pédaler dans le sable et je passerais le reste de la journée sous le soleil de plomb. Je reste sur la route goudronnée où les arbres sont minces mais fréquents.
J’aperçois à plusieurs reprises pendant cette journée des mini tornades de quelques mètres de diamètre et quelques dizaines de mètres de haut. Elles se traduisent par un nuage de sable tourbillonnant et se déplaçant sur des kilomètres. J’en suis une pendant plusieurs minutes mais au moment où la route croisait enfin la trajectoire du tourbillon, elle a disparu. Une autre a fini sa course dans un mur en agitant les feuilles des palmiers clôtures. Je n’ai même pas tenté de prendre une photo vu la faiblesse du phénomène, le nuage de sable n’aurait pas été visible.
J’aborde enfin la ville portuaire de Bandar Lengeh en fin de journée. C’est d’ici que je dois prendre le ferry du lendemain à destination de Dubaï. Je passe la nuit aux limites de la ville, à peut-être 200m des premiers immeubles. J’entends néanmoins à plusieurs reprises pendant la soirée et la nuit des hurlements de plusieurs loups. Ils me semblaient proches, parfois à une centaine de mètres. Le bon côté est qu’ils craignent l’homme, je ne les ai pas vu mais ils n’ont pas approché de ma tente comme des chiens l’avaient déjà fait par le passé. Je n’étais quand même pas serein en sortant de la tente la nuit.
19 novembre, jour 150 : Bandar Lengeh – Kanakh (79 km)
Je trouve le terminal de ferry sans grosse difficulté. Désillusion : les informations sur Internet parlant des 6 ferrys hebdomadaires ne sont pas bonnes, il n’y en a qu’un et il part le mercredi, soit 4 jours plus tard… La solution de repli est d’aller dans un autre port à 200 km de là pour attraper le ferry du soir qui m’amènerait à Sharjah, un émirat à une trentaine de kilomètres de Dubaï.
Cette distance étant infaisable à vélo dans la journée, je me rends au terminal des bus. Bonne nouvelle, il y a un bus à midi qui fait la liaison et charger mon vélo ne pose pas de problème. Mon interlocuteur se propose même de me vendre le billet avec le supplément pour le vélo à 200000 rials (5 euros) mais je n’ai plus d’argent iranien, bah oui j’avais prévu de partir le matin même… Un commerçant se vantant de faire du change veut bien m’échanger 5 dollars à un taux minable mais pas plus, insuffisant pour acheter le billet. Je repars en centre ville trouver un bureau de change, j’échange 10 dollars pour le billet et pouvoir manger quand même un petit bout. Je reviens au terminal de bus, un type veut maintenant me vendre le billet pour 120000 rials (3 euros), cool l’Iran a connu une déflation soudaine de -40% en une demi-heure. Ou alors on me prend pour une buse. Au guichet, le prix baisse encore à 100000 rials (2.5 euros) et mon vélo est toujours accepté avec plaisir. Apprenant que je suis français le guichetier me récite la liste des joueurs de l’équipe de France de foot de 1998, puis me parle d’Ibrahimovic. Il a peut-être changé de nationalité depuis mon départ ? Il me dit enfin de revenir à midi pour embarquer.
Avance rapide. Je reviens avant midi, histoire d’avoir le temps de démonter une partie du vélo si besoin pour le caser dans le bus. Sur les quais on m’annonce que pour aller à Bandar Abbas, ma destination, je dois prendre le taxi. Mmmhhh… Au guichet, le fan de foot a laissé sa place à un type moins sympa qui m’annonce que mon bus a été annulé et me dit de me débrouiller. Mais quel pays de… À l’extérieur du terminal, les charognards de taxis se battent pour me proposer le voyage. Le genre de situation où 10 inconnus m’entourent et me collent, touchent à mon vélo, déclenchent la sonnette parce que LOL, tentent même de me prendre des mains les billets que je sors pour illustrer la somme requise. Il y a bien moins de volontaires quand ils voient que le vélo ne rentrerait pas dans leur coffre. Un ou deux ont quand même la foi et affirment que ça passera alors que leur coffre est déjà plein. Un type ramène même une boîte à outils pour entamer le démontage du vélo ! Situation folle, je n’ai pas envie de démonter le vélo en mille morceaux dans la rue et avoir à le remonter à l’arrivée, il y a trop de risque de casser quelque chose ou de perdre des vis ou des écrous. Je me résous à faire les 200 km comme j’ai fait les 11000 précédents pour attraper le ferry du lundi soir…
C’est donc parti pour les prolongations en Iran en suivant la côte du golfe Persique vers l’est. Il fait chaud, humide, j’ai la chance d’avoir un léger vent de dos mais il devient aussi mon malheur puisque je n’ai plus de vent relatif une fois en selle. Malgré les kilomètres à sillonner Bandar Lengeh dans tous les sens le matin, j’ai assez de forces pour carburer et rouler 60 km dans l’après-midi. Je m’arrête en bord de mer et passe la nuit derrière une dune pour ne pas être gêné par le bruit du déferlement des vagues. En début de soirée, j’ai la surprise de voir défiler en silence devant ma tente des dizaines de personnes. Elles marchent en file indienne, dans le noir complet, à peine aidées de l’écran de leur téléphone portable, sans sacs. L’homme qui les mène leur dit de se dépêcher et ils continuent leur chemin en silence vers la plage. Des migrants prêts à embarquer sur un bateau ? Je ne cherche pas à savoir, je ne veux pas d’ennuis et je pense que c’est réciproque.
20 novembre, jour 151 : Kanakh – Bandar Abbas (105 km)
Rien de passionnant sur la route, excepté la présence d’une énorme pièce d’acier destinée à la raffinerie voisine. Le bébé fait 67m de long pour 9 de diamètre et pèse plus de 360 tonnes, je vous laisse compter le nombre de roue de la remorque servant à le déplacer !
Comme je n’ai pas pensé à en parler avant et qu’il faut meubler ce jour-ci, parlons de l’absence de supermarché en Iran. Parce que même en ville, il n’y a que des petites « épiceries », tout au plus équivalent d’un Franprix français mais pas de grande surface. Il y en a peut-être à Téhéran pour les classes moyennes et supérieures mais je n’en ai pas vu sur mon itinéraire évitant la capitale. Mon hypothèse est que, comme je m’en suis rendu compte assez tard, les prix des produits sont imprimés sur les emballages. On trouvera donc partout le même paquet de biscuits ou le même paquet de pâtes au même prix. C’est le cas pour tous les produits manufacturés, ce qui exclut les céréales souvent vendues en vrac et les fruits et légumes. Un supermarché pourra donc difficilement vendre moins cher que l’épicerie du coin. Les quelques petites supérettes où je suis allé faisaient des ristournes de -5%, pas de quoi fouetter un chat et encourager à parcourir des kilomètres en voiture plutôt que descendre en bas de chez soi acheter ce dont on a besoin quand on en a besoin.
21 novembre, jour 152 : Bandar Abbas (42 km)
Le vent est fort dès le début de matinée. Le ciel se charge de poussières et prend une teinte brune orangée. Avec les heures qui avancent, la visibilité baisse jusqu’à se limiter à peut-être 100m. C’est une tempête de sable !
Un homme s’arrête sur la route et me donne un masque pour filtrer les poussières que je respire. Sans masque, en ouvrant la bouche, je sens des petits grains de sable crisser entre mes dents. Je ne peux pas garder les yeux ouverts sans devoir me les frotter pour évacuer les poussières, je porte donc mes lunettes transparentes mais elles s’encrassent très vite. Les vêtements, les cheveux, les sacoches, absolument tout mon corps et mon matériel se charge de poussières et change de couleur. L’écran du téléphone se couvre des petits grains en quelques secondes.
J’achète mon billet de ferry à destination des Émirats Arabes Unis dans la matinée après des allers-retours entre les différents quartiers pour avoir les informations, échanger l’argent puis revenir au bureau de la compagnie. Le monsieur qui m’a vendu le billet me donne son numéro de téléphone pour pouvoir l’appeler en cas de problème : j’ai un mauvais pressentiment. Départ prévu en soirée, je passe donc le reste de la journée dehors où le sable et le vent continuent leur travail infernal.
Je me rends au port après le coucher du soleil et j’apprends alors que le voyage est annulé en raison de la météo. Je veux bien admettre qu’il y a du vent mais il n’est pas d’une force exceptionnelle et la mer n’est pas très agitée. Je n’ai pas d’autre choix que de revenir 5 jours plus tard pour prendre le ferry suivant…
Les jours suivants sont très venteux, alternant entre ciel variable et nuages de sable. Le lendemain de l’annulation est difficile à cause d’une intoxication alimentaire, mal de ventre qui me cloue sur place du matin au soir. Ça ira mieux par la suite. Je rencontre un gentil habitant de la ville qui me propose de m’abriter chez lui les derniers jours en attendant mon ferry.
26 novembre, jour 157 : Bandar Abbas
Le sable a enfin arrêté d’emplir l’air après une pluie salvatrice. Il y a un peu de vent mais le ciel est clair ; je crains tout de même que le ferry soit annulé pour une raison où une autre, par exemple la présence d’étoiles dans le ciel qui pourraient éblouir le capitaine à la barre !
Après une longue attente au terminal passagers, de 18h à 22h, nous embarquons enfin. Je rencontre deux autres cyclistes, un Autrichien et un Allemand, se rendant à Dubaï après la traversée de l’Iran. Le navire s’élance enfin à 23 heures passées…